Troubles mentaux : la face cachée des ados connectés
D’après les données de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS)1, 1 adolescent sur 7 (âgés entre 10 et 19 ans) souffre d’un trouble mental dans le monde. Le suicide est même devenu la première cause de décès chez les 15-29 ans. Comment notre société a-t-elle amplifié cette crise silencieuse, et quelles solutions concrètes permettraient d’améliorer le bien-être des jeunes ? Des réponses avec le Dr Frédéric Kochman, médecin pédopsychiatre et coordinateur de la clinique Lautréamont à Loos (Nord).
Une augmentation inquiétante des troubles psychiques chez les jeunes
Depuis 2020, l’OMS a constaté une multiplication par deux voire trois, des cas de troubles psychiques chez les jeunes au niveau mondial. Même constat en France, les professionnels de santé sont en première ligne face à cette crise : « Dans les cliniques où je travaille, le nombre de demandes concernant des adolescents a doublé, voire triplé, » rapporte le Dr Frédéric Kochman, médecin pédopsychiatre et coordinateur de l’équipe médicale de la clinique Lautréamont à Loos (Nord).
Les Centres Médico-Psychologiques (CMP), qui jouent un rôle important dans la prise en charge des jeunes en détresse, sont saturés. Les délais d’attente pour les adolescents suicidaires peuvent atteindre jusqu’à 2 ans.
La crise sanitaire et les confinements successifs ont fragilisé l’équilibre émotionnel et psychologique des jeunes. Ces périodes d’isolement forcé ont provoqué chez les plus vulnérables une peur du monde extérieur, aussi appelé le « syndrome de la cabane ». À cela s’ajoute l’angoisse générale liée à la pandémie, un climat anxiogène a été extrêmement déstabilisant pour les plus fragiles.
La vie rêvée des réseaux sociaux et le cyberharcèlement
Les réseaux sociaux occupent une place centrale dans cette crise. Véritable miroir déformant, les adolescents sont confrontés chaque jour à des images et des vidéos de vies idéalisées, souvent inatteignables, qui nourrissent un profond mal-être. C’est particulièrement le cas auprès des adolescentes, qui se sentent « moins belles, moins heureuses, moins chanceuses », ce qui peut nourrir un état dépressif.
L’omniprésence des écrans réduit parallèlement le temps consacré aux interactions sociales réelles, pourtant essentielles pour leur développement affectif durant cette période cruciale de leur vie. L’isolement devant les écrans favorise également le cyberharcèlement, un phénomène en très forte hausse. D’après une étude de l’institut Audirep menée en 20221, 60% des 18-25 ans disent avoir été confrontés à une situation de cyberharcèlement. « Je reçois des patients qui reçoivent des messages d’une violence inouïe à 2 h du matin. Dorénavant, le harcèlement continue jusque chez eux et même en pleine nuit. Ils ne peuvent plus dormir et leur détresse en est aggravée, » déplore le Dr Kochman.
Éteindre les écrans : la solution miracle pour aller mieux ?
Certaines initiatives, comme l’interdiction des smartphones en classe adoptée dans un quart des pays dans le monde2, n’ont finalement pas eu les résultats escomptés, d’après l’OCDE3. « L’enjeu n’est pas de revenir en arrière, mais de réorganiser le quotidien pour créer davantage de moments de partage en famille et entre amis, » recommande le Dr Kochman.
Plutôt que d’interdire l’utilisation des réseaux sociaux, il s’agirait au contraire d’en promouvoir une utilisation plus responsable. « Dans notre clinique, les patients n’ont accès à leur téléphone que deux heures par jour. Pendant le reste du temps, ils redécouvrent des activités comme le sport, le karaoké ou les jeux de société. Nous animons aussi des groupes de paroles thérapeutiques baptisés “Reconnecter” pour prendre du recul sur les dangers liés à l’utilisation des réseaux sociaux,» explique le pédopsychiatre. Le véritable enjeu est de convaincre les jeunes de prendre du recul sur la nocivité des réseaux et surtout, de diversifier leurs activités et leurs loisirs.
La famille : un équilibre indispensable à trouver
Les parents, souvent désemparés, jouent pourtant un rôle central dans le bien-être de leurs enfants.« Ils peuvent instaurer des règles simples, comme interdire le téléphone dans la chambre la nuit, et montrer qu’il existe une vie riche et épanouissante au-delà des écrans, » conseille le Dr Kochman.
Pour ce faire, les parents doivent eux-mêmes réduire le temps passé sur leurs smartphones ou à regarder leurs séries de leur côté, afin de recréer du lien avec leurs enfants. « Nous insistons beaucoup sur la psychoéducation familiale : cela peut passer par des gestes simples, comme jouer à un jeu de société, faire du sport, partager un repas tout en discutant, ou encore regarder une série - mais ensemble - pour pouvoir en débattre ensuite, » ajoute-t-il.
Comment détecter un ado en détresse ?
Lorsqu’un adulte constate un changement important dans le comportement scolaire, familial ou social d’un jeune, il doit être très vigilant. Par exemple, une chute des résultats scolaires, agressivité (ou auto-agressivité à la maison) ou encore un désintérêt pour ses groupes d’amis peuvent alerter sur les risques d’un état dépressif. « J’invite en premier lieu les parents à en parler avec leur enfant. Il se confiera d’ailleurs sûrement davantage durant un trajet en voiture - à condition de retirer son casque - qu’au milieu du salon, conseille le Dr Kochman. Si les doutes persistent, demandez conseil à votre médecin de famille, pour qu’il oriente votre enfant si besoin vers un psychologue. »
Les nouvelles thérapies aussi au service des jeunes
Les avancées en neurosciences permettent aux cliniques emeis de déployer des thérapies psychocorporelles innovantes. Des techniques comme l’EFT (Emotional Freedom Technique) et l’hypnose aident les jeunes à libérer leurs émotions sans passer par la verbalisation. L’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) est une autre méthode très efficace qui permet de désensibiliser et retraiter les traumatismes par des mouvements oculaires. La réalité virtuelle est aussi une innovation à tester, notamment pour affronter des phobies, comme la peur de l’école, en récréant virtuellement des salles de classe pour travailler sur ces situations anxiogènes. Par ailleurs, le microbiote des adolescents joue aussi un rôle important.« On sait désormais que l’intestin est notre deuxième cerveau. Une meilleure alimentation peut donc avoir des effets significatifs sur la santé mentale, » souligne le Dr Kochman, qui prône une vision holistique de la santé mentale.
[1] https://e-enfance.org/plus-d1-jeune-adulte-sur-2-a-deja-ete-victime-de-cyberharcelement/
[2]Global Education Monitoring Report “Technology in education: a tool on whose terms?”: un rapport de l’Unesco (2023)
[3] Enquête PISA : un rapport de l’OCDE (2022)
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