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Santé mentale des jeunes : l’école en première ligne

Selon l’enquête EnCLASS 2022 menée en France[1], le bien-être des élèves se dégrade au fil des années, dégradation qui s’accentue au lycée. Près d’un lycéen sur quatre déclare avoir eu des pensées suicidaires au cours des 12 derniers mois, et plus d’un lycéen sur 10 a déjà tenté de se suicider au moins une fois dans sa vie. Face à ce constat alarmant, Patrice Huerre*, psychiatre et consultant référent au sein du Groupe emeis, intervient dans une quinzaine de cliniques équipées d’unités pédopsychiatriques. Il collabore également avec l’Éducation nationale, en formant enseignants, CPE et directeurs d’établissements à mieux détecter et accompagner ces jeunes en détresse.

L’école : révélatrice du mal-être adolescent

Si l’école n’est pas la cause unique des troubles psychiques, elle en est souvent le révélateur. Troubles obsessionnels compulsifs, troubles alimentaires ou encore anxiété scolaire sont des signaux d’alerte, parfois difficile à identifier : « Un bon élève peut être en grande souffrance psychique, tout comme un élève en échec scolaire peut aller bien. C’est ce qui rend la détection plus complexe, » explique Patrice Huerre. 

De plus, les moyens dédiés à l’accompagnement de ces élèves en détresse restent insuffisants. Les infirmières scolaires gèrent des milliers d’élèves, les médecins scolaires sont en sous-effectifs et les CPE, pourtant en première ligne, sont débordés.

Patrice Huerre tempère néanmoins l’idée d’une explosion des troubles psychiatriques chez les jeunes : « Ce qui évolue, c’est surtout la sensibilité des adultes à ces questions. La société projette ses angoisses sur la jeunesse, ce qui amplifie le climat anxiogène. Certains adolescents réagissent plus vivement que d’autres et traversent des périodes de fragilité, voire de détresse psychologique qu’il faut traiter. Mais ces difficultés restent généralement surmontables. En revanche, la proportion de jeunes atteints de maladies mentales graves, elle, demeure stable depuis plusieurs décennies ».

Salle de classe

Décoller les étiquettes pour permettre aux élèves de s’épanouir

Une des clés pour améliorer le bien-être des jeunes est de les aider à construire une image plus positive d’eux-mêmes. « Un simple changement de formulation peut tout changer : au lieu de dire à un élève qu’il est nul après une mauvaise note, on peut lui dire qu’il a rendu un mauvais devoir. Remplacer le verbe "être" par "avoir" l’empêche de se définir par ses échecs, » explique l’expert. 

Les réseaux sociaux amplifient ce phénomène en figeant les réputations scolaires, rendant le droit à l’oubli plus difficile et en limitant la possibilité d’évoluer d’une année à l’autre. Face à ce défi, l’école a un rôle crucial à jouer : éviter de renforcer ces étiquettes et au contraire, encourager chaque élève à évoluer.

Eleves autour d'un ordinateur

Entre l’école et les jeunes : le fossé s’agrandit

À l’ère du numérique, les jeunes accèdent instantanément aux informations, tandis que l’école peine à faire évoluer ses méthodes pédagogiques, souvent héritées du XIXe siècle. Si certains perçoivent le numérique comme une menace, d’autres y voient une opportunité pour réinventer l’apprentissage ainsi qu’un formidable levier pour moderniser leurs pratiques pédagogiques.

« Les médias numériques permettent de recréer de l’engagement. Dans nos cliniques, nous utilisons même les jeux vidéo à des fins thérapeutiques, sous encadrement professionnel, » souligne le psychiatre. 
Mais il pointe aussi la rigidité des institutions scolaires : « Beaucoup d’enseignants voudraient s’adapter, mais ils ne sentent pas légitimes, faute d’équipements et de formation adaptée, » regrette-t-il. Entre tradition et modernité, l’école doit encore trouver son équilibre pour répondre aux attentes des nouvelles générations.

Eleve et professeur dans une bibliothèque

Créer des passerelles entre le milieu hospitalier et scolaire

À Annecy et à Toulouse, les cliniques emeis expérimentent un programme innovant permettant aux jeunes hospitalisés de poursuivre leur scolarité à mi-temps avec des enseignants volontaires. Une initiative précieuse pour éviter les ruptures scolaires, alors que l’école joue un rôle essentiel dans l’équilibre des patients et leur réinsertion sociale. Face au succès de ce dispositif, d’autres cliniques pourraient adopter cette approche, renforçant ainsi les passerelles entre les établissements de santé et le milieu scolaire.

Elèves et professeur dans une bibliothèque