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Les réseaux sociaux alimentent-ils les troubles du comportement alimentaire des adolescents ?

Selon la Fondation pour la recherche Médicale (FRM), 10% de la population souffre de Troubles des Conduites Alimentaires (TCA) et dans 80% des cas, les personnes atteintes d’anorexie mentale sont des femmes. Dans une société où les injonctions sur le corps féminin restent présentes, les réseaux sociaux amplifient-ils la survenue de ces pathologies ? 

Les cas de TCA se multiplient depuis le Covid-19 et la vague #MeToo

Il existe trois types principaux de Troubles des conduites alimentaires (TCA) : l’anorexie mentale, la boulimie et l’hyperphagie boulimique[1]. La psychiatre Aurore Guy-Rubin, médecin coordinateur à la clinique Villa Montsouris et spécialiste de ces troubles depuis 2009, observe une nette augmentation des cas chez les adolescentes : « Depuis la pandémie de Covid-19, il y a eu une augmentation marquée des TCA, en particulier chez les jeunes filles. Une étude de la Fédération Française Anorexie Boulimie (FFAB)[2] documente une hausse d’environ 30 %. » 

Le repli social imposé par les confinements successifs a exacerbé la détresse psychologique des jeunes, notamment chez ceux qui n’avaient pas encore développé de relations sociales durables. Les conséquences physiques et psychologiques des TCA peuvent être graves : dénutrition, complications cardiaques, diabète de type 2 en cas d’hyperphagie, mais aussi dépression, anxiété et pensées suicidaires.

Les causes de ces troubles sont multiples. La dépression, les contraintes alimentaires imposées par les normes sociétales et les expériences traumatiques y contribuent fortement : « Environ 40% des patients souffrant de TCA ont subi un psycho-traumatisme, souvent d’ordre sexuel. Le mouvement #MeToo a levé des tabous, libéré la parole et incité de nombreuses femmes à consulter, » explique le Dr Guy-Rubin. 

assiette vide

Filtres, hashtags : l’influence toxique des réseaux sociaux  

Les réseaux sociaux exposent les adolescent.e.s à des contenus dangereux : « Des plateformes comme Instagram ou TikTok, amplifient le phénomène en exposant les jeunes à des normes alimentaires et corporelles extrêmes, » souligne le Dr Guy-Rubin. L’âge d’apparition des cas d’anorexie mentale est de plus en plus précoce, avec des diagnostics posés chez des enfants dès 8 ans, et un pic à l’âge de 16 ans selon l’INSERM[3].

Des vidéos virales comme les « What I Eat in a Day »[4] imposent des modèles alimentaires souvent restrictifs et scientifiquement infondés. Certaines influenceuses, elles-mêmes en souffrance, présentent des repas équilibrés à leurs followers, tout en avouant à leur psychiatre qu’elles ne les consomment pas. Derrière une vitrine publique aux contenus positifs, certaines vont encore plus loin en prodiguant des conseils dangereux dans des échanges privés.

Au rythme des algorithmes

Les algorithmes des réseaux sociaux favorisent l’enfermement des adolescent.e.s dans des « bulles » de contenus similaires, valorisant des silhouettes à la minceur extrême.  Par ailleurs, l’utilisation massive de filtres modifiant les traits du visage, renforce la dysmorphophobie, un trouble qui altère la perception de son apparence physique. Une étude de la Boston University School of Public Health[5] publiée en 2021, montre que des filtres comme « Snapchat Dysmorphia », augmentent les risques de développer des TCA.

Jeune femme photographiant son assiette

Diagnostic : des signes qui doivent alerter

Les jeunes concernés dissimulent généralement leur maladie à leur entourage, ce qui rend le diagnostic plus difficile. Ce silence rend la vigilance essentielle car certains signes doivent alerter : un repli sur soi, une perte d’intérêt pour les activités habituelles ou encore une attitude anormalement effacée. « Une adolescence trop tranquille peut être suspecte, avertit la psychiatre. C’est une période marquée par la recherche de repères et des conflits. Si un adolescent se montre trop sage ou replié sur lui-même, cela doit éveiller l’attention. »

L'enjeu de l'accès au soin

L’accès aux soins constitue un autre obstacle majeur, en particulier pour les mineurs. L’utilisation de la carte Vitale et l’envoi des décomptes de remboursement empêchent toute discrétion pour ceux qui souhaitent consulter sans en informer leurs parents. Pourtant, des structures de soin anonymes et gratuites existent, comme la Maison des Adolescents (MDA)[6], ou encore la ligne téléphonique « Anorexie Boulimie Info Écoute » (0810 037 037), mais ces dispositifs sont encore trop méconnus.

Une prise en charge pluridisciplinaire, alliant un suivi psychologique, nutritionnel et médical est essentielle, mais coûteuse. Or ces soins spécialisés sont rarement remboursés, ce qui les rend inaccessibles pour les familles aux revenus modestes. De plus, les zones rurales sont aussi moins bien dotées en infrastructures spécialisées et les centres existants sont souvent saturés. 

Néanmoins, les cas légers peuvent être pris en charge par les médecins généralistes, qui disposent d’outils comme le questionnaire SCOFF[7] pour détecter ces troubles. « Plus un TCA est diagnostiqué tôt, meilleures sont les chances de guérison. Une prise en charge précoce permet souvent une rémission en un à deux ans. Environ 50 % des TCA guérissent, mais certains cas deviennent chroniques, » conclut le Dr Guy-Rubin.

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Jeunes garçons dans la cour du collège

Notes et sources :

[1] L’hyperphagie boulimique est une tendance à la consommation excessive de nourriture, sans acte compensatoire (vomissement ou prise de laxatif), entraînant des risques d’obésité.

[2] Pour en savoir plus, consultez ce site de référence : https://www.ffab.fr/

[3] https://www.inserm.fr/dossier/anorexie-mentale/

[4]  Vidéos populaires sur TikTok dans lesquelles des créateurs partagent ce qu’ils consomment en une journée.

[5]https://www.bu.edu/articles/2018/snapchat-dysmorphia/ : une étude menée en 2021 publiée par la revue médicale JAMA Facial Plastic Surgery.

[6] Pour en savoir plus sur ce dispositif : https://solidarites.gouv.fr/maisons-des-adolescents-mda

[7] Pour réaliser le test de SCOFF : https://www.journeemondialetca.fr/tout-sur-les-tca/test-du-scoff