Déconstruire les préjugés sur la schizophrénie
À l'occasion de la 21ᵉ Journée de la schizophrénie, en mars 2024, un chiffre clé sur la prévalence de cette maladie mentale en France est dévoilé : près de 1% de la population serait concernée, soit environ 660 000 personnes. Mais de quoi parle-t-on au juste ? Les préjugés sur cette maladie sont nombreux. Avec le docteur Sleurs, psychiatre à la clinique d’Orgemont (95), tentons de les déconstruire pour mieux saisir la complexité des facteurs et des symptômes de cette maladie méconnue du grand public.
Les principaux préjugés concernant la schizophrénie
Les préjugés autour de la schizophrénie restent profondément ancrés dans les esprits et les notions de « dangerosité », « d’imprévisibilité», et « d’irresponsabilité1» sont fréquemment associées à ce trouble mental. Si 83% des Français associent d’abord la personne schizophrène au danger pour autrui, près de 70% des médecins généralistes partagent encore cette idée2...
Par ailleurs, un autre préjugé courant consiste à confondre schizophrénie et Troubles Dissociatifs de l’Identité (TDI). Il s’agit pourtant de troubles mentaux très différents, les TDI se caractérisant par une amnésie récurrente et des états de personnalité distincts alors que la schizophrénie présente d’autres caractéristiques spécifiques (voir plus bas).
Il est également couramment admis que le schizophrène est un « entendeur de voix » : « Les patients eux-mêmes en sont convaincus, et s‘étonnent, lorsque le diagnostic est posé, de ne pas entendre de voix ! » témoigne le docteur Sleurs.
Pour finir, un autre préjugé concerne l’intégration des schizophrènes dans la société : « Autour de moi, beaucoup pensent que les schizophrènes sont hospitalisés à vie, avec la conviction qu’ils ne peuvent pas avoir de vie professionnelle, poursuit le docteur Sleurs. Or, il existe plusieurs formes de schizophrénies et certaines, moins symptomatiques, permettent d’avoir une vie “quasi” normale. »
La schizophrénie, qu’est-ce que c’est ?
Trouble hétérogène, la schizophrénie se caractérise par des troubles importants de la perception de la réalité et par des altérations du comportement. Elle se manifeste par divers symptômes classés en trois grandes catégories : les symptômes positifs, les symptômes négatifs et les symptômes relatifs à la désorganisation.
Symptômes positifs :
Les symptômes positifs sont tous les symptômes qui se rajoutent. On retrouve d’une part les délires, c’est-à-dire une interprétation déformée de la réalité, et/ou les hallucinations acoustico-verbales ou intrapsychiques, perceptions sensoriellessans stimulus externe réel.
Symptômes négatifs :
À l’inverse des symptômes positifs, ce sont des symptômes « en moins » comme l’émoussement affectif (restriction de l'affectivité), les troubles cognitifs (troubles de l’attention, déficit de la mémoire, difficulté à construire une pensée…), le retrait social, l’apragmatisme. Ce dernier symptôme désigne l’incapacité à initier ou à réaliser des actions orientées vers un but précis. Cela se traduit par l’absence de motivation et un manque d’initiative associés à une forme de passivité entrainant un isolement social. Bien que moins visibles, ces symptômes représentent la part la plus handicapante de la maladie, sont souvent présents à l’état résiduel, même chez les patients stabilisés, et sont associés aux pronostics fonctionnels des patients.
Symptômes relatifs à la désorganisation :
La désorganisation s’observe plus facilement. La pensée confuse et le discours incohérent, rendent complexe la communication avec les autres : « On peut parler de barrage dans la pensée et de désynchronisation (discordance) dans l’expression de ses émotions, » souligne l’expert.
24 millions
de personnes souffrent de schizophrénie dans le monde, soit une personne sur 300 (OMS)
80%
c’est le nombre de cas où les symptômes s’améliorent dès qu’ils sont traités
6 sur 10
c’est le nombre d’articles de presse qui emploient le terme « schizophrénie » pour désigner autre chose que cette pathologie
10 à 13 fois +
de suicides chez les personnes atteintes de schizophrénie
+ de 2 personnes sur 3
atteintes de psychose ne bénéficient pas de soins de santé mentale spécialisés (OMS)
Diagnostiquer la schizophrénie : un parcours délicat
L’aspect protéiforme de la maladie, sa combinaison de plusieurs symptômes variant d’un individu à l’autre, et l’absence de symptôme spécifique à toutes les schizophrénies rendent leur détection difficile.
« Il n’existe pas de symptôme qui soit nécessaire ou suffisant pour faire le diagnostic de la schizophrénie, » déclare le docteur Sleurs. Le symptôme qui est le plus présent chez tous les patients sont les troubles cognitifs : les déficits d’attention, de flexibilité mentale ou encore de planification sont largement répandus chez les personnes schizophrènes. Mais ils se retrouvent dans beaucoup d’autres maladies ! À l’inverse, la désorganisation, signe le plus distinctif de la schizophrénie n’est pas présente chez l’ensemble des individus. » Enfin, les symptômes délirants ou les hallucinations ne sont pas obligatoires pour le diagnostic.
Par ailleurs, le caractère évolutif de la maladie allonge le délai de diagnostic. En général, la maladie se manifeste entre 15 et 25 ans. On pense aujourd’hui qu’à l’adolescence, le nombre de connexion cérébrales se réduit de façon importante. La vulnérabilité, déjà présente mais jusqu’alors compensée par la plasticité cérébrale de l’enfant, disparaît et les symptômes apparaissent. En effet, durant l’adolescence, le cerveau subit un processus de remodelage cérébral majeur. Chez les personnes vulnérables ce processus va aboutir au développement de la maladie.
Quel rôle joue l’environnement dans le développement de la schizophrénie ?
Nous sommes nombreux à penser que la schizophrénie est liée à des traumatismes durant l’enfance. Pourtant, le docteur Sleurs l’affirme : « La schizophrénie est beaucoup plus une maladie biologique endogène qu’une maladie environnementale. Le consensus scientifique actuel la définit comme une maladie neuro-développementale. Pour être tout à fait précis, il s’agit plus d’un trouble polygénique impliquant un ensemble de gènes qui amplifient le risque de le développer. On estime à 70-80% la part d’héritabilité de la maladie. »
Cela ne veut pas dire que les personnes schizophrènes vont forcément avoir des enfants porteurs de cette même maladie ! Ce serait confondre deux mots : hérédité et héritabilité. Le premier concerne la transmission tandis que le deuxième désigne la variance génétique observée dans une population. Pour autant, il serait erroné d’écarter les facteurs externes. Parmi les facteurs exogènes de la schizophrénie citons : les facteurs perturbant le développement in utéro et survenant dans les premières années de vie (infection, exposition à des toxiques, souffrance fœtale précoce…). Plus tard, un parcours de vie difficile, avec des sévices ou négligences psychologiques ou physiques.
Drogues et schizophrénie : une relation complexe
Les personnes qui souffrent de schizophrénie sont davantage consommateurs de substances addictives : tabac, alcool, cannabis et autres substances. Mais pour le docteur Sleurs, il ne s’agit pas d’une relation causale car « il faut initialement une vulnérabilité cérébrale pour potentiellement développer une schizophrénie en consommant. L’association est probablement bidirectionnelle avec également une appétence particulière pour ses substances liées à la maladie, bien que leur consommation soit néfaste pour la stabilité des symptômes. »
Deux priorités pour mieux soigner la schizophrénie
Comment les patients sont-ils soignés et existe-il un traitement efficace pour les différentes formes de schizophrénie ?
Le docteur tente de répondre à cette question complexe et précise qu’« on ne guérit pas de la schizophrénie. On apprend à en limiter les effets. Les antipsychotiques destinés à réguler la dopamine dans le cerveau, marchent bien sur les symptômes positifs mais plutôt mal sur les symptômes négatifs. Agir sur ces derniers serait un enjeu majeur pour la recherche pharmaceutique ».
L’autre grosse difficulté est le déni du patient. « Lorsque l’on est schizophrène, on a rarement la perception de la maladie. Les traitements sont donc souvent arrêtés. Il faudrait réussir à détecter de manière plus précoce la maladie sans interruption du traitement, » souligne-t-il.
En dehors de la prise en charge médicale, l’un des moyens d’accompagner au mieux les personnes souffrant de schizophrénie serait de sortir des préjugés. Comme le confie le docteur Sleurs : « Celui qui souffre de la schizophrénie est plus susceptible de subir la violence que d’en être l’auteur, ce sont des victimes qui du fait de leur maladie et leurs symptômes sont marginalisées par les autres, mises à l’écart, voire agressées ».
Une réalité qui invite à un changement de regard et à une prise de conscience collective.
Pour aller plus loin sur la thématique...
Si vous souhaitez en savoir plus, découvre ci-contre deux autres articles consacrés à la santé mentale. Bonne lecture !
[1] Crisp AH, Gelder MG, Rix S, et al. Stigmatisation of people with mental illnesses. Br J Psychiatry 2000 ; 177 : 4-7.
[2] 21es Journées de la Schizophrénie – du 16 au 23 mars 2024.