Se libérer des TOC : un chemin difficile mais possible
Avec 2 à 3 % de la population touchée[1], les troubles obsessionnels compulsifs (TOC) sont l’un des troubles mentaux les plus courants. Mal compris par le grand public, les TOC plongent les personnes qui en souffrent dans une lutte intérieure constante, entre pensées intrusives et rituels censés apaiser leur angoisse. Derrière ces mécanismes, des vies sont bouleversées, comme celle de Marie (le nom a été modifié), qui témoigne ici de son quotidien et de sa thérapie. Son récit est éclairé par l’expertise du Dr Nicolas Gouiller, médecin psychiatre coordinateur à la clinique Lyon Lumière à Meyzieu (Rhône).
Comprendre les TOC : entre obsessions et compulsions
Marie souffre d’un TOC de contamination. « Le TOC peut me demander de me laver les mains très fréquemment, de me doucher plusieurs fois par jour, de ne pas toucher certaines surfaces, de ne plus porter de parfum ni de crème, » explique-t-elle. Son trouble la pousse à éviter tout ce qui pourrait être perçu comme une source de souillure, non seulement pour elle-même, mais aussi par crainte de contaminer une personne vulnérable. « C’est une dictature de l’anticontamination, résume-t-elle. Synonyme d’angoisse, de honte, d’épuisement. »
Un trouble aux multiples visages
Pensées intrusives, rituels incontrôlables, anxiété omniprésente… Les troubles obsessionnels compulsifs (TOC) peuvent prendre des formes variées et impacter lourdement la vie quotidienne. « Une obsession est une pensée intrusive, qui s’impose à l’esprit et génère une angoisse. La compulsion est un comportement répétitif, un rituel mis en place pour soulager cette angoisse. Lorsque cette compulsion perturbe le quotidien, on parle alors de trouble, » explique le Dr Nicolas Gouiller.
Parmi les TOC les plus connus on retrouve les TOC de vérification (vérifier dix fois que la porte est bien fermée ou le gaz éteint) et ceux de lavage (se laver les mains jusqu’à l’irritation). Mais d’autres formes existent également : les TOC de malheur, où un rituel est accompli pour éviter un évènement dramatique, l’accumulation compulsive, le comptage ou encore les phobies d’impulsion, où l’individu redoute de commettre un acte violent ou immoral.
L’origine des TOC est multifactorielle, et reste parfois mystérieuse. « Certains patients ont des prédispositions familiales, ou vivent des éléments déclencheurs comme un stress intense, un traumatisme ou un événement marquant, précise le spécialiste. Une personne au tempérament anxieux peut développer un TOC de lavage après un cambriolage, par exemple. »
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Un impact majeur sur la vie quotidienne
Les TOC sont une souffrance invisible mais omniprésente. « Ils impactent le quotidien à tous les niveaux : personnel, professionnel et social, souligne le Dr Gouiller. Souvent très lentes en raison du rituel de vérifications, certaines personnes ne peuvent plus travailler ou sont reconnues travailleurs handicapés ».
En raison de son TOC, Marie a ainsi vécu de fortes tensions familiales, l’arrêt de son activité professionnelle, un isolement social, des crises d’angoisse à répétition… « Ma vie se résumait à la peur et aux rituels, j’étais prisonnière de moi-même. »
Pour l’entourage, vivre avec une personne souffrant de TOC est un défi constant : faut-il participer aux rituels pour éviter les crises, ce qui tend à conforter le trouble, ou au contraire s’y opposer au risque d’engendrer des conflits ? Marie confirme ces difficultés : « Mes proches me soutiennent, mais peuvent se trouver démunis. Ils ne comprennent pas pourquoi je continue à me laver les mains malgré les crevasses et la douleur, pourquoi je m’épuise avec ces rituels au lieu de faire du sport… Le TOC fait peser de grosses contraintes sur eux ».
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TOC : des traitements exigeants mais efficaces
Le diagnostic des TOC repose sur un entretien clinique. « On utilise une échelle d’évaluation pour mesurer la sévérité du trouble et ses répercussions sur la vie du patient, et on cherche les comorbidités associées (dépression, phobies), précise le Dr Gouiller. Le diagnostic peut être difficile pour des TOC atypiques, et le manque de psychiatres en France ne facilite pas les choses, » glisse-t-il.
La prise en charge nécessite une longue hospitalisation et repose principalement sur la thérapie cognitivo-comportementale (TCC), laquelle consiste à exposer progressivement la personne à ses angoisses sans qu’elle puisse accomplir ses rituels, afin de « reprogrammer » son cerveau. Des antidépresseurs sont souvent nécessaires, voire des approches innovantes pour les cas les plus sévères telles que la stimulation cérébrale profonde.
Hospitalisée à la clinique Lyon Lumière depuis plusieurs semaines, Marie suit un parcours thérapeutique personnalisé : psychoéducation, exposition avec prévention de réponse (EPR), stimulation par ondes magnétiques, groupes de parole, art-thérapie, sport... « Je reprends confiance en moi petit à petit, avec l’aide de l’équipe médicale très patiente et bienveillante, » confie-t-elle.
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Un long chemin vers le rétablissement
Peut-on vraiment guérir d’un trouble obsessionnel compulsif (TOC) ? La réponse du Dr. Gouiller est nuancée : « On parle plutôt de rétablissement, quand le patient retrouve un état satisfaisant permettant la vie quotidienne ». Selon lui, un tiers des patients se rétablit bien, un autre tiers rechute et le dernier tiers est en échec thérapeutique.
Pourtant, l’espoir demeure. « L’important est de ne pas affronter seul la maladie. Il existe des solutions et plus on agit tôt, plus elles sont efficaces, » insiste le spécialiste.
C’est cette démarche qui a permis à Marie de reprendre le contrôle sur son trouble. « Le TOC est toujours là, mais je ne me définis plus par lui. J’ai appris à me dissocier de mes pensées obsessionnelles, à ne plus les laisser dicter mes actions. C’est un combat quotidien, mais chaque petite victoire me rapproche d’une vie plus libre ».
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